La Covid-19 et les conditions de travail | par Jacques Sapir
Jun 11, 2021
Alors que se lèvent la plupart des restrictions liées à la Covid-19, il convient de revenir sur ses conséquences.
L’impact de la crise sanitaire sur l’économie a été évident et est bien mesuré. Mais, l’impact de la Covid-19 sur le télétravail et sur les conditions de travail l’a beaucoup moins été. Cela vient cependant de de faire l’objet d’une étude relativement complète par la DARES.
L’enquête TraCov, réalisée par la DARES au premier trimestre 2021 auprès de 17 216 individus en emploi, permet de proposer un premier bilan sur les conséquences des changements imposés par la Covid-19 un an après le début de la crise sanitaire et montre que les changements qui sont survenus ne correspondent pas aux idées reçues selon lesquelles le recours systématique au télétravail aurait été largement plébiscité par les travailleurs.
Ampleur de l’impact
Même si la majorité des actifs interrogés en février-mars 2021 décrivent des conditions de travail plutôt stables par rapport à l’avant-crise, la quantité de travail à fournir par les actifs occupés a globalement augmenté. Cela correspond à une intensification qui est souvent aussi une dégradation. Ils sont nombreux à déclarer qu’ils travaillent plus longtemps qu’avant la crise sanitaire, plus souvent en horaires décalés (le soir, la nuit, très tôt le matin) et de façon plus intense.
L’intensité émotionnelle dans le travail a également bondi : un travailleur sur quatre déclare être plus souvent « bouleversé, secoué, ému dans son travail » qu’auparavant. La crise sanitaire a par ailleurs conduit à une hausse du sentiment d’insécurité de l’emploi : un travailleur sur quatre déclare craindre davantage pour son emploi qu’avant. Cela a, et aura, des conséquences évidentes sur l’épargne « forcée » réalisée à l’occasion des périodes de confinement.
Tableau 1
Réactions de l’échantillon aux conséquences de la crise sanitaire
Dégradation | Stabilité | Amélioration | |
Insécurité de l’emploi | 26% | 71% | 3% |
Exigences émotionnelles | 26% | 72% | 2% |
Objectifs chiffrés | 18% | 72% | 10% |
Intensité du travail | 21% | 72% | 2% |
Durée du travail | 17% | 73% | 10% |
Sens du travail | 8% | 74% | 18% |
Conflits de valeurs | 10% | 82% | 8% |
Autonomie, marges de manœuvre | 6% | 82% | 13% |
Coopération, soutien social | 6% | 87% | 7% |
Horaires décalés (soir, nuit, très tôt le matin) | 11% | 87% | 2% |
Champ : actifs occupés en janvier 2021 en France métropolitaine, hors activité partielle totale ou fermeture administrative.
Source : Dares, enquête Tracov.
Les résultats de l’enquête montrent la présence de contrastes importants. Ils illustrent la grande diversité des situations de travail, mais aussi des situations sociales (problèmes de logement, travailleurs célibataires, en couple, ou avec des enfants) pendant la crise sanitaire.
Les 4 ressentis
Afin de distinguer les ressentis et les réactions face aux changements imposés par la crise sanitaire, la DARES a construit une typologie, qui permet de classer les actifs en quatre groupes selon leurs conditions de travail et l’impact de la crise sanitaire :
- le premier groupe, majoritaire, dont les conditions de travail ont été peu affectées par la crise (nommé « peu d’impact ») et qui représente 54% de l’échantillon ;
- le deuxième groupe est caractérisé par une intensification du travail (« intensification») avec 32% des répondants à l’enquête. Sont surreprésentés dans ce groupe le secteur de la santé humaine et de l’action sociale (établissements hospitaliers et structures médicales, Ephad etc.), l’enseignement et le commerce de détail. Sont également surreprésentés les femmes, les cadres et les professions intermédiaires ;
- le troisième groupe correspond à des conditions de travail fortement dégradées (« dégradation »), avec 11% de l’échantillon ;
- et un dernier, minoritaire, où prévaut une légère amélioration (« accalmie ») avec 3%.
Tableau 2
Réactions du 2ème groupe (intensification) aux conséquences de la crise sanitaire
(par ordre d’importance dans la dégradation)
Dégradation | Stabilité | Amélioration | |
Exigences émotionnelles | 40% | 59% | 1% |
Objectifs chiffrés | 26% | 62% | 12% |
Intensité du travail | 33% | 65% | 1% |
Insécurité de l’emploi | 30% | 68% | 2% |
Durée du travail | 25% | 68% | 7% |
Sens du travail | 6% | 70% | 23% |
Autonomie, marges de manœuvre | 4% | 78% | 18% |
Conflits de valeurs | 11% | 81% | 8% |
Horaires décalés (soir, nuit, très tôt le matin) | 14% | 84% | 2% |
Coopération, soutien social | 4% | 88% | 9% |
Source : Dares, enquête Tracov.
Quelques remarques s‘imposent. Les personnes actives, et en particulier celles du deuxième groupe, indiquent une surcharge de travail par rapport à l’avant crise (25%) :. Leur travail est également plus intense pour 33% d’entre eux, en lien pour partie avec des réorganisations du travail : adaptation des cours, y compris par l’enseignement à distance, recours au télétravail, etc. L’impact du télétravail doit donc être observé avec soin.
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