Grèce: Écueils et inconvénients des politiques de privatisation des ressources thermales

Par Dr Emmanuel Kosadinos,
Psychiatre,
étudiant en médecine thermale à l’Université de Lorraine-Nancy
Membre du CA de l’Association pour les politiques de santé en Europe (IAHPE)

Considérations générales et historiques

La saga des tribulations de la Grèce sous le régime néolibérale ne fait plus l’actualité : la domination des intérêts privés sur les besoins communs est désormais établie dans le pays après un bref intervalle de lutte pour l’émancipation contre rapport de forces écrasant.

La pandémie COVID a fourni au gouvernement actuel de Nouvelle Démocratie le prétexte idéal pour mettre sous quarantaine toutes velléités de protestation : restez chez vous, il n’y a rien à voir dehors !

Contre les récalcitrants la méthode forte a été utilisée.

Pendant ce temps l’eau continue à couler, à envelopper le pays et imprégner ses paysages, cette même eau donne qui à la Grèce les couleurs de son drapeau, le bleu azuré des rivages et des lacs reflétant le ciel serein, le blanc de l’écume, des sources et des cascades.

L’eau est un bien commun par excellence non seulement parce que, comme l’air, ses circuits naturels de production et de circulation ne connaissent pas de limites, et donc échappent tout naturellement aux lois de la propriété, mais aussi car il fut, est et restera le support indispensable de toute forme de vie carbonée (dont la matière se compose d’unions chimiques de l’élément carbone) y compris sur des astres lointains si tant est qu’elle s’y développerait.

Depuis toujours les lois coutumières ont garanti la propriété commune de l’eau comme l’ont également fait, au moins en principe et partiellement, les lois (y compris constitutionnelles) de plusieurs États modernes.

Toutefois, à l’ère du capitalisme néolibéral que nous traversons, l’eau sous toutes ses formes d’utilisation (de boisson, domestique, agricole, etc) fait l’objet de convoitise de la part des grands intérêts privés qui y voient une «source» de profit et de spéculation, et tentent de s’incruster aux différents points de son circuit, avec la licence de gouvernements et de législations complaisants, pour l’exploiter et facturer aux consommateurs son accès.

L’eau qui nous intéresse dans cet article et celle qui jaillit de réservoirs naturels profonds  de la terre et dont les caractéristiques de température, de composition chimique, voire de radioactivité, la rendent propre à l’usage médical, sous forme de boisson, d’inhalation ou de bains d’immersion. Il s’agit de l’eau «de source thermale» dont la Grèce est particulièrement pourvue, du fait de son relief géographique accentué et de son positionnement sur une zone d’activité géologique intense.

La Grèce est également l’espace où historiquement les rapports entre le bien être humain et la nature, l’eau en particulier, furent pour la première fois décrits en termes d’observation objective et de déduction logique, par l’école hippocratique de la médecine, en rupture désormais définitive avec l’approche mystique, mythologique ou religieuse.

L’utilisation médicale (au sens contemporain) des eaux thermales grecques démarre dès la mise en place de l’État moderne avec la création du premier établissement en 1830 sur l’île de Thermia (appelée aujourd’hui Kythnos) sous l’influence de la médecine allemande. Le thermalisme grec a depuis marché dans les pas du thermalisme européen. Il a progressivement gagné le public des classes moyennes, connaissant son acné et la création de plusieurs établissements entre les deux guerres mondiales, puis une étape à la fois de popularisation et de déclin après la deuxième guerre, concurrencé par la pharmacologie et les techniques médico-chirurgicales en plein essor.

Bilan succinct de l’existant actuel

La décennie de 2010 qui fut en Europe, et en France en particulier, une phase de regain d’intérêt et de nouveau développement du thermalisme, est pour la Grèce une étape de faillite de son État et de son économie. Ainsi, malgré un travail réglementaire et législatif important effectué avant et même pendant la crise, le manque cruel de capitaux, notamment publics, à livré une part importante des établissements à l’impitoyable usure du temps et des éléments pour se retrouver aujourd’hui en état littéralement de ruines.

Il s’agit ici de bien noter que l’asphyxie économique des collectivités locales et territoriales grecques, résultat de l’application des memorandums d’austérité, est le premier facteur responsable de cette situation déplorable, compte tenu du fait que nombre d’établissements fonctionnaient (et certains fonctionnent encore) en régie municipale ou

territoriale.

Politiques néolibérales

Il est nécessaire de rappeler, que l’octroi de prêts financiers à la Grèce par la BCE et le FMI c’est fait sous la condition de privatisation accélérée d’une large part du patrimoine public du pays, infrastructures, entreprises, espaces publics, etc. Cette grande manœuvre politique et financière, peu contributive à l’amenuisement de la dette publique mais bien détrimentielle pour la souveraineté économique et même nationale du pays, a été effectuée par la mise en place de fonds ad hoc de privatisation, initialement (2011) du Fonds de développement des actifs de la République hellénique (HRADF – TAIPED) puis par l’absorption de celui-ci en 2015 dans la Société hellénique d’actifs et de participations (HCAP) aux statuts davantage permissifs à la cession accélérée du patrimoine public. Ces deux organismes sont des sociétés anonymes de droit privé sous supervision des créanciers de la Grèce. Si les recettes anticipées des privatisations ne sont pas susceptibles de réduire de manière importante la dette publique de la Grèce, celles déjà enregistrées par la cession effective des biens de l’État n’en sont qu’une maigre fraction. La démarche des privatisations massives est cependant justifiée par «le besoin de créer dans le pays une ambiance attractive pour l’investissement de capitaux qui produira le redémarrage de l’économie». En attendant que cela soit vérifié par les faits, nous restons dans la sphère des conjectures sinon de l’idéologie, en l’occurrence néolibérale.

Cadre législatif et réglementaire préexistant

En ce qui concerne les sources thermales de la Grèce (dont le nombre de sources certifiées dépasse la centaine pour un pays dont la population n’est que le sixième de celle de la France) il est essentiel d’indiquer que les réservoirs d’eaux souterraines sont considérées partie des ressources du sous-sol, qualifiées comme telles et protégées par toutes les Constitutions successives de l’État grec depuis 1911 (actuellement sous l’article 18) en tant que biens communs soumis à une législation spécifique.

La reconnaissance de l’importance des sources thermales et de leur protection a été renforcée par la Directive 60/2000 du Parlement Européen sur la protection de l’eau, non spécifique ni contraignante, toutefois motif de la condamnation de la Grèce pour sa non application.

L’État grec a mis à jour la législation sur les sources thermales en 2006 par une loi dédiée, définissant leurs conditions de fonctionnement, de gestion et de propriété, à la suite des lois antérieures de 1920, 1930 et 1960. Dans ce texte législatif le terme «thermalisme» (d’étymologie pourtant grecque) voit le jour pour la première fois dans le langage officiel du pays.

Les installations de surface rattachées aux sources thermales bénéficient de statuts de propriété très divers, municipaux, territoriaux, voire privés. Une petite seulement partie de ces installations de surface (et établissements à vocation thermale) appartient à la Société de biens immobiliers de l’État, ETAD. Les sources elles-mêmes ont été considérées à ce jour relevant de la compétence de l’Organisme National du Tourisme, EOT, jadis gestionnaire d’un important patrimoine et aujourd’hui quasiment réduit à une coquille vide. Cette dissociation des droits de propriété des installations, des surfaces au sol et des ressources profondes, tout en étant logique, n’est pas sans créer quelques complications.

En ce qui concerne la Société de biens immobiliers de l’État (ETAD) il n’est pas anodin qu’elle ait été mise en question pour manque de transparence de sa gestion, notamment en termes de recrutement et de traitement des personnels, et qu’elle fait tout récemment l’objet d’une enquête judiciaire.

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